Biogaz, biocarburants, agro-granulés, bois-énergie … les moyens de produire de l’énergie décarbonée à partir de biomasses agricole et forestière ne manquent pas. L’industrie et les transports, en particulier, se tournent massivement vers ces ressources pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Les quantités de biomasse à vocation énergétique sont pourtant limitées, d’une part par la disponibilité des terres et la stagnation des rendements, d’autre part par les autres usages prioritaires de la biomasse (alimentation humaine et animale, matériaux …). Les études prospectives comparant les estimations de demande et d’offre mettent ainsi en exergue le problème de bouclage de la ressource et la nécessité des arbitrages à venir. Nous sommes convaincus que les approches de la biomasse énergie comportent encore un angle mort majeur, en oubliant que la biomasse agricole est une ressource fortement variable. Il est bien connu du monde agricole qu’une production qui repose sur le vivant est irrégulière. Ces fluctuations vont par ailleurs s’accentuer drastiquement avec le changement climatique, à cause de l’augmentation des températures et de la multiplication des aléas météorologiques et des événements extrêmes (printemps trop doux ou trop secs, gel tardif, trop fortes précipitations, sécheresses pluriannuelles, etc …). Dans ces conditions, les productions agricoles énergétiques (cultures dédiées et intermédiaires, résidus de culture, herbe des prairies…), à l’usage non prioritaire par rapport à l’alimentation, seront très fortement variables d’une année à l’autre. En particulier, le gisement essentiel des cultures intermédiaires sera très sensible aux conditions météorologiques, du fait de sa croissance concentrée dans une courte période. D’une année à l’autre, sa production méthanisée pourrait varier d’un facteur 3 et la production totale de biogaz en France en 2050 pourrait connaître une variabilité interannuelle de l’ordre de 40%. Sans la mise en place de stratégies de résilience ad hoc, de nombreux risques pèseront sur le système agro-énergétique en cas de tension sur la ressource : multiplication des conflits d’usages, production alimentaire menacée, risque pour la survie économique des acteurs les plus faibles et risque de pénurie à l’échelle nationale. Les contrats entre producteurs, transformateurs et consommateurs de biomasse seront clés pour créer de la confiance malgré les incertitudes de production. L'État, lui, devra jouer un rôle de garant et apporter le soutien nécessaire face aux crises, quitte à prendre un rôle d’arbitre et intervenir localement, par exemple via les cellules biomasse régionales, pour trancher le partage de la ressource en situation extrême.